Affaire d’uriage, réflexions

Récemment, le pouvoir politique et plus particulièrement le président et le ministre de l’intérieur se sont émus d’une décision d’un juge (le juge des libertés et de la détention )de remettre en liberté sous contrôle judiciaire un justiciable sur lequel pèse un soupçon (une participation au braquage du casino d’Uriage). Ainsi, s’exprimant devant un micro, Brice Hortefeux a exprimé sa « vive consternation » et sa « consternation » devant cette décision avant que le président de la République avoue sa « [difficile] compréhension » et soutienne les propos de son ministre.

Le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège. C’est-à-dire que, contrairement au procureur de la République, il est statutairement indépendant. Il prend ses décisions dans le respect du droit, en son âme et conscience. Son rôle, parmi d’autres, est notamment de décider de la mise en détention provisoire d’une personne mise en examen.

Lors qu’il statue à ce propos, il ne se prononce en aucun cas sur la culpabilité de la personne mise en examen, comme l’amalgame a pu être fait parmi certaines de mes connaissances. En clair, la mise en détention provisoire est une mesure privative de liberté envers une personne qui n’a pas encore été condamné. C’est une personne innocente (présumée comme telle) que l’on prive de liberté.

Nul volonté de faire de l’angélisme béat mais la notion doit être réellement expliciter afin de pouvoir en mesurer la gravité. Et c’est cette gravité même qui fait que la détention provisoire doit rester une mesure guidée par des circonstances exceptionnelles. La loi, aux articles 143-1 et 144 du code de procédure pénal, les énumère clairement et je ne peux que vous inviter à les consulter. 1.

Auparavant, il appartenait au juge d’instruction de se prononcer sur l’opportunité de la mise en détention provisoire. Le juge d’instruction est également un magistrat du siège (donc indépendant) chargé de favoriser la manifestation de la vérité.2.

Ainsi, il a semblé plus raisonnable de confier à un autre juge que le juge d’instruction la décision de priver de sa liberté une personne mise en examen. Car il est apparu au législateur que l’intérêt du magistrat instructeur (qui cherche à faire apparaitre la vérité) et la protection des libertés fondamentales pouvaient être antagonistes. Et confier à un autre juge la décision de mise en détention provisoire renforcerait l’impartialité de cette décision. Ce fût chose faite avec la loi sur la présomption de l’innocence de 2000. Et l’on touche là une explication fondamentale.

La responsabilité qui a été confié par la loi à ce magistrat, c’est de décider en vertu du droit si une personne doit ou non être mise en détention provisoire. Je rappelle à toutes fins utiles que la loi est l’œuvre du législateur 3. Cette responsabilité lui ayant été confiée, peut-on décemment lui reprocher de faire ce pour quoi il a été créé ? Remettre en cause une décision de justice est-il bon pour la santé de la République ?

On peut discuter de la pertinence du rôle du juge des libertés et de la détention et de la nécessité éventuelle de modifier par la loi. son rôle Mais on ne peut affirmer d’une décision prise isolément qu’elle est « peu compréhensible », laissant sous entendre que la décision prise allait contre le bon sens populaire 4 et que le juge des libertés et de la détention l’avait prise de son propre chef faisant comme bon lui semblait. Il l’a effectivement prise de son propre chef mais dans le cadre d’un pouvoir que le législateur lui a dévolu et strictement encadré.

Remettre en cause une décision de justice, surtout venant d’un chef d’État, remet en cause un principe fondamental du système judiciaire en vigueur dans tout les états de droit : l’indépendance de la justice. On peut discuter du système judiciaire mais on ne peut sous entendre qu’une décision de justice serait le fruit d’un seul homme, qu’elle n’est pas prise en respect du droit. Le séparation des pouvoirs, chère à Montesquieu et reprise dans la déclarations des droits de l’homme et du citoyen à l’article 16, a valeur constitutionnelle et est d’une importance considérable, pour ne pas dire capitale, à la bonne marche d’un état de droit. L’exécutif n’a pas à influer sur les décisions de justice.

Il faut d’ailleurs rappeler que la chose est punie à l’article 434-25 du code pénal :

Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

Nous rappelons, en tout bien tout honneur, que selon l’article 64 de la constitution

Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Nous ne reviendrons pas sur les tensions ayant parsemées à de nombreuses reprises les relations entre le président de la République et la justice.

Quel message envoie donc le président de la République aux français et ce, à plusieurs reprises ? Que la justice décide, seule, de la loi à appliquer.; que ce sont les juges qui gouvernent et que les décisions de justice peuvent être remises en cause car elles ne seraient pas « compréhensibles »,;qu’elles ne seraient pas justes.

Encore une fois, la démagogie, le clientélisme électoral, le populisme de caniveau éloignent un peu plus le peuple français de l’idée d’une République  irréprochable, juste et impartiale.

  1. Article 143-1 et Article 144 du code de procédure pénal
  2. En réalité, un certains nombres d’opérations sont menés par un officier de police judiciaire et lui ont été délégués par le juge d’instruction qui donne mandat à l’officier de police judiciaire d’agir en son nom. C’est la fameuse commission rogatoire
  3. C’est-à-dire essentiellement et pour faire vite, du gouvernement
  4. Le bon sens populaire semblant guider la politique ces derniers temps, cela ne semble guère surprenant

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