Un article paru sur le site du monde.fr m’a interpellé et plus particulièrement la phrase suivante, qui concerne la décision, désormais célèbre, de la cour de cassation au sujet de la garde à vue :
Le texte de réforme de la garde à vue, dont l’application a été ordonnée vendredi par la Cour de cassation,…
Plus fort (mais amplement justifié par la couleur politique de leurs auteurs), la saillie suivante a été rapportée par le parisien. Elle est l’œuvre de députés de la droite populaire qualifiant cette décision de la cour de cassation de « coup d’Etat judiciaire », d’un retour du « gouvernement des juges », brandissant le spectre des « Parlements de l’ancien régime ».
La cour de cassation, autorité judiciaire s’il est besoin de la rappeler, aurait donc « ordonné » la promulgation d’un texte d’origine législative. La promulgation est un acte réservé du président de la République conformément à l’article 10 de la constitution de 1958 et qui grosso modo, introduit l’acte voté au parlement dans l’ordre juridique français. Ainsi donc, la cour de cassation aurait pris, de son propre chef, une responsabilité incombant au chef de l’Etat. Fichtre, en matière de coup d’Etat judiciaire, cela se pose là.
Le raccourci est un peu fort (bien que partiellement vrai) et -comme la plupart des événements-, tellement plus complexe qu’on ne peut le résumer en quelques mots, qualificatifs ou épithètes et ce, quelque soit la richesse de la langue française.
Où l’on rappelle la place de La convention (européenne) de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l’homme dans l’ordre juridique français
D’un point de vue strictement juridique, le contrôle que la cour de cassation a réalisé dans son arrêt est un contrôle de conventionnalité. Pour comprendre ce principe, il faut savoir qu’il existe une théorie juridique que l’on nomme « Hiérarchie des normes » (œuvre d’Hans Kelsen, juriste autrichien) et dont le principe est assez simple : chaque norme se situe sur un palier selon sa source et doit respecter (i.e. ne pas contredire) les normes situées sur le palier du dessus. Ainsi, la loi doit respecter la constitution (plus généralement, le bloc de constitutionnalité) mais aussi, et cela est plus intéressant, les conventions internationales dont la France est signataire, conformément à l’article 55 de la constitution.
Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.
Ainsi, et vous ne l’ignorez probablement pas, la France est signataire de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH). Les dispositions prévues dans cette convention s’applique à la France et la loi doit, a minima, ne pas les contredire.
Très tôt, le juge s’est arrogé la compétence de vérifier si la loi est bien conforme aux engagements internationaux de la France et plus précisément au droit communautaire (dont fait partie la CESDH) dans des arrêts très connus des étudiants en droit (Jacques Vabre en 1975 pour la cour de cassation et Nicolo en 1989 pour le conseil d’Etat). Ainsi, et ce depuis 40 ans, le juge vérifie que les normes édictées par le pouvoir législatif respecte bien la CESDH (et les écarte le cas échéant).
La décision de la cour de cassation
Pour motiver son arrêt, la cour de cassation s’appuie principalement sur la CESDH et plus particulièrement son article 6, pour dire, dans un attendu aussi clair qu’il est vigoureux, que la garde à vue telle qu’elle est mise en œuvre en France est contraire aux libertés fondamentales dictées par le droit communautaire.
Attendu que les États adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
On le voit bien, à aucun moment, la cour de cassation ne fait référence à un quelconque projet de loi non promulguée mais adoptée ou à une quelconque décision du conseil constitutionnel. Elle a rendu cette décision dans le cadre d’une compétence prévue et utilisée depuis un demi siècle. (On notera en passant la pique pointant la lenteur du pouvoir en place à répondre aux exigences de la CESDH, la jurisprudence européenne à l’encontre de la France étant à cet égard légion). La cour de cassation n’a donc rien promulgué du tout. Elle n’en a ni les moyens, ni (j’ose le dire sans me tromper) la volonté. Voilà, pour l’article du monde.
So What ?
Mais alors quoi (pour faire plaisir à M. Toubon) ? Une fois n’est pas coutume, le monde politico-médiatique aurait-il perdu toute mesure ? Il faut replacer cette décision dans un contexte politique et juridique. L’été dernier, en juillet 2010, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le conseil constitutionnel avait répondu de la même manière que la cour de cassation allait le faire quelques mois plus tard, au sujet de la garde à vue, en s’appuyant non pas sur la CESDH (s’estimant non compétente pour contrôler la conventionnalité) mais sur la constitution et déclarant que la garde à vue telle que mise en œuvre en France ne respectait pas la constitution (ni la constitution, ni la CESDH, ça commence à faire beaucoup). Ainsi, la loi prévoyant la garde à vue aurait dû être immédiatement abrogée mais le conseil constitutionnel a pris soin de laisser au législateur un délai afin qu’il puisse organiser une réforme, plus précisément jusqu’au 1er juillet 2011. S’agissant tout de même d’une violation des libertés fondamentales, on peut s’émouvoir de ce délai d’un an.
De son côté, le législateur a entamé un projet de réforme qui a été adopté le 12 avril 2011 et qui devait être promulgué le 1er Juillet 2011 afin de rendre la garde à vue conforme et à la constitution et à la CESDH (car la France avait déjà été auparavant condamné toujours sur la garde à vue par la cour européenne des droits de l’homme (institution chargée de veiller au respect de la CESDH) dans plusieurs arrêts).
« Oui mais non… »
…a semblé dire la cour de cassation. Car bien que prise de manière totalement extérieure au conseil constitutionnel et au législateur, dans un cadre respectant les institutions de la République, la décision de la cour de cassation a clairement mis « le couteau » sous la gorge du gouvernement. En effet, sa décision, claire et précise, n’appelait pas d’interprétation et les juges du fond, saisis de demande en annulation des procédures de garde à vue, aurait bien été obligé de suivre l’avis de l’assemblée plénière de la cour de cassation ou, ne le suivant pas, aurait, bien évidemment, subi la censure de la cour de cassation des affaires qui aurait été amenées devant elle.
Ainsi, sauf à subir pendant les mois précédant la promulgation, tout une série d’annulation, le ministère de l’intérieur et la chancellerie étaient obligés d’organiser en urgence une procédure respectant la décision de la cour de cassation.
So What (2) ?
Mais alors pourquoi la cour de cassation a-t-elle pris une telle décision alors que la réforme était en marche, en conformité avec le droit européen ? La décision en elle-même ne choque pas mais c’est le moment choisi qui gène. Deux options s’ouvrait à elle : soit elle considérait effectivement que la garde à vue n’était pas conforme à la CESDH et à ce moment, pourquoi attendre si longtemps pour rendre cette décision alors que tant la cour européenne des droits de l’homme que la doctrine interpelle la France à ce sujet depuis de longues années ?; soit, la réforme étant engagée, un silence de plusieurs décennies pouvait bien attendre quelques mois supplémentaires.
Elle en a décidé autrement, mettant les pieds dans le plat et, c’est de mon point de vue le plus dommageable, donnant du grain à moudre au populisme le plus radical.
Alors la cour de cassation, ennemie de la République ou pionnière des droits de l’homme ? Elle me fait davantage penser au général s’enorgueillir d’un victoire durement acquise par ses troupes plusieurs jours auparavant.
Enfin, et pour conclure sur une note optimiste (mais pas pour tout le monde), on peut remarquer que cette décision s’inscrit dans une évolution où la hiérarchie des normes bascule d’une subordination des engagements internationaux à la constitution vers une coopération entre le droit communautaire et la constitution de la même manière que politiquement, nous semblons nous diriger vers un fédéralisme européen qui remet en cause la souveraineté des nations de la communauté européenne. Personnellement (mais c’est affaire d’idéologie), je m’en félicite.
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